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Edwy Plenel

Pour renouveler ses abonnements à Mediapart, l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique en France vient de nous demander de signer une attestation certifiant que nous n’utilisons aucun équipement d’entreprises chinoises. En réponse, nous lui avons signifié notre refus, dûment motivé.

Dans un courriel adressé le 24 septembre à notre service « Abonnés », l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique en France nous a signifié que ses abonnements à notre journal ne seraient renouvelés qu’à condition de la signature, par Mediapart, d’une attestation certifiant que nous n’utilisons pas les équipements d’entreprises chinoises et de leurs filiales.

Voici cette mise en demeure, polie sur la forme, ferme sur le fond : « Nous sommes abonnés à Mediapart (2 abonnements), je vous adresse ci-joint une attestation en anglais (la retrouver ici (pdf, 132.9 kB)) qui doit être signée et datée. Sans cette attestation, nous ne pourrons plus acheter chez vous car le Gouvernement des Etats-Unis demande une attestation de nos vendeurs certifiant qu’ils n’utilisent pas certains matériaux dont la liste est ci-dessous. Le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique a voté l’entrée en vigueur du National Defense Authorization Act (DNAA) le 13 août 2020 ; une partie de ce NDAA est spécifiquement dédiée aux contrats et acquisitions, et notamment aux relations commerciales avec les sociétés utilisant au sein de leur(s) réseau(x) du matériel Huawei, ZTE, Hikvision, Dahua, Hytera ainsi que leurs filiales et sociétés affiliées. De ce fait, nous vous remercions de bien vouloir nous retourner l’attestation dûment signée afin d’être en mesure de vous attribuer un bon de commande pour vos services. »

Les cinq entreprises visées sont de grands groupes chinois de télécommunication et de télésurveillance contrôlés par les autorités de Pékin. Loin de faire du zèle, les services diplomatiques américains en France ne font qu’appliquer les consignes de l’administration Trump qui impose unilatéralement sa loi commerciale au nom de ses intérêts sécuritaires. C’est ainsi que sa décision de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien s’est traduite par la menace de sanctions contre toute entreprise européenne continuant à commercer avec Téhéran. Loin d’être anecdotiques, ces mesures, qui relèvent d’un nationalisme dominateur, signifient la mise à mort de tout multilatéralisme, la puissance américaine s’estimant en droit d’imposer sans discussion sa loi à ses partenaires étrangers, au mépris de leur souveraineté, de leur liberté et de leurs droits.

C’est ce qu’illustre, jusqu’à l’absurde, l’injonction bureaucratique qui nous est faite pour seulement deux abonnements. Nous aurions pu la juger dérisoire, et renvoyer signée l’attestation demandée en la tenant pour une simple formalité. Mais il s’agit d’une question du principe où se jouent des renoncements essentiels. Voici donc la réponse, en forme de fin de non-recevoir, que j’ai adressée, le 6 octobre, es-qualités directeur de Mediapart, aux services concernés de l’ambassade américaine.

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Vous demandez dans votre courrier électronique en date du 24 septembre 2020 que Mediapart certifie ne pas utiliser d’équipements ou de services de télécommunications fournis par les entreprises Huawei, ZTE, Hikvision, Dahua et Hyteria et ne pas utiliser d’équipements, systèmes ou services utilisant des équipements ou services fournis par ces sociétés. Et celà au titre d’un National Defense Authorization Act (NDAA) du 13 août 2020. A défaut de certification de notre part, vous nous indiquez que vous ne serez plus en mesure de maintenir vos abonnements à notre journal au titre de l’Ambassade des États-Unis.

Votre demande, si nous lui donnions suite, contraindrait Mediapart à discriminer entre ses fournisseurs en raison de leur Etat d’origine, en l’espèce les entreprises établies en République populaire de Chine Huawei, ZTE, Hikvision, Dahua et Hyteria. Elle constitue dans tous les cas une pression sur un média indépendant.

Votre administration ne peut ignorer que toute pression exercée sur un média est une atteinte à son indépendance. Il s’agit d’un principe qui est pourtant une valeur consacrée par le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique, pays de naissance de la liberté d’expression et de la presse. Ce principe a été à son tour consacré par la Constitution de la République française, par la Charte européenne des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’homme, qui sont notre loi.

Mediapart sélectionne ses fournisseurs sur la base de critères de qualité et de prix. Répondre favorablement à une demande d’une telle nature, évidemment discriminatoire, porterait atteinte aux choix managériaux de notre entreprise et à ses équilibres économiques.

S’agissant du matériel fourni par les sociétés visées, les exigences du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique reposent sur des critères de sécurité, mais sont à l’évidence de nature idéologique. Les activités de notre journal ne concernant, ni de près ni de loin, la sécurité nationale ou la politique extérieure des Etats-Unis d’Amérique, votre réclamation est exorbitante.

De même qu’en aucune façon nous n’accepterions une injonction du gouvernement de la République populaire de Chine visant à nous interdire, au prétexte de sa sécurité, d’utiliser les produits, services, plateformes et équipements d’entreprises américaines (Microsoft, Apple, Google, Facebook, Twitter, Instagram, etc.), votre demande relative aux produits d’entreprises chinoises (Huawei, ZTE, Hikvision, Dahua et Hyteria) ne peut en aucun cas être satisfaite.

S’agissant enfin des liens entre le Gouvernement de la République populaire de Chine et les entreprises visées par votre demande, nous rappelons que Mediapart est un journal à la pointe de la défense des droits humains et politiques, notamment ceux des habitants de Hong Kong, du Tibet ou des membres de la minorité ouïghoure, et n’a donc aucune leçon à recevoir sur ces engagements de quelque État ou gouvernement que ce soit.

Je vous prie d’agréer mes respectueuses salutations.

Mediapart