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Des lignes ont été franchies et la nouvelle donne n’a plus les mêmes rampes.

Par Bruno Maçães

Pour la première fois depuis 1991, lorsque Saddam Hussein a lancé un barrage de missiles Scud sur Tel Aviv et Haïfa, un autre État a directement attaqué Israël. L’attaque de Hussein, il y a plusieurs décennies, mérite d’être soulignée car elle met en évidence l’ampleur des changements intervenus depuis le 13 avril, date à laquelle l’Iran a attaqué Israël avec plus de 300 drones, missiles de croisière et missiles balistiques. Certains de ces missiles ont réussi à percer les défenses aériennes d’Israël, mais n’ont causé que des dégâts mineurs.

Il existe des similitudes entre 1991 et 2024. Tout comme il y a trente ans, les États-Unis souhaitent aujourd’hui qu’Israël s’abstienne de répondre militairement ou, comme l’a dit Joe Biden lors de son premier appel téléphonique avec Benjamin Netanyahou, qu’il « profite de la victoire » offerte par un soutien international solide et un système de défense aérienne capable d’intercepter 99 % des tirs iraniens. Mais les différences sont profondes : en 1991, Washington avait promis de détruire les lanceurs de missiles en Irak. Aujourd’hui, M. Biden craint plus que tout une nouvelle guerre au Moyen-Orient : les prix de l’énergie monteraient en flèche et personne ne croit que l’opinion publique américaine ait beaucoup de patience pour des mésaventures répétées comme celles qui ont causé tant de souffrances dans un passé récent.

M. Biden a été clair : les États-Unis ne soutiendraient aucune réponse susceptible de nous rapprocher d’une guerre. Il est difficile de prédire si Netanyahou et ses ministres s’y plieront. Jusqu’à présent, Netanyahou est resté silencieux. Des rapports font état d’un cabinet de guerre divisé. Benny Gantz, un rival de Netanyahou qui est devenu de plus en plus proche des responsables américains, est sur le point de le remplacer.

L’attaque iranienne change cependant tout. Alors qu’il s’appuyait auparavant sur des mandataires pour mener des attaques en son nom, Téhéran a agi avec une audace qui va profondément heurter le sentiment de sécurité d’Israël. Ce nivellement des positions respectives pourrait bien être inacceptable pour les autorités israéliennes. Je reste convaincu qu’il y aura une réponse et les responsables israéliens ont même promis, officieusement, qu’une telle réponse serait « sans précédent ».

Certains diront que l’Iran n’avait pas le choix : l’attaque israélienne contre l’ambassade iranienne à Damas le 1er avril avait elle-même franchi une ligne, frappant l’équivalent d’un territoire souverain iranien. Le régime iranien savait que sa crédibilité était en jeu. Les futures actions israéliennes devaient être dissuadées non pas tant par des frappes punitives, dont l’Iran craint les conséquences, que par l’aggravation des tensions régionales et l’obligation pour les Américains d’intervenir. Ce qu’ils ont fait.

Il ne faut pas se faire d’illusions : après une nuit alarmante, nous sommes revenus au statu quo ante. La nouvelle situation ne comporte plus les mêmes garde-fous. Et en arrière-plan, source ultime de la crise sécuritaire actuelle, la guerre à Gaza se poursuit, avec les mêmes horreurs qu’auparavant, et avec peu d’espoir de résolution.

Lors de mes rencontres en Israël il y a deux semaines, notamment avec l’ancien chef du Shin Bet, Ami Ayalon, une préoccupation était évidente : la guerre à Gaza était dans une impasse et le gouvernement israélien actuel, profondément impopulaire, cherchait peut-être désespérément un moyen d’éviter sa propre défaite politique ruineuse. Netanyahou semble avoir vu dans l’attaque contre l’ambassade iranienne un moyen d’étendre la guerre, en se plaçant dans une position plus favorable. Il suffit de tirer sur l’Iran pour que les critiques américaines à l’encontre des actions d’Israël se taisent. Jusqu’à présent, cela a fonctionné.

Selon certaines informations, Joe Biden craint à présent que le gouvernement israélien n’essaie d’entraîner les États-Unis dans une guerre régionale de plus grande envergure. Après tout, ni Netanyahou ni ses ministres ne considèrent les Palestiniens comme la principale menace pour Israël. La principale menace se trouve à Téhéran, et ils pourraient bien être tentés d’essayer d’y répondre tant que le soutien américain « à toute épreuve » découlant du 7 octobre est encore disponible, et pratiquement inconditionnel. L’Iran a répondu à la frappe de Damas par une attaque « calibrée », d’une grande force symbolique, mais si manifestement chorégraphiée et si prévenue que l’impact matériel a pu être contenu. Le gouvernement israélien s’attendait peut-être à quelque chose d’encore plus effronté de la part d’un Iran qu’il considère comme aveuglé par la haine théocratique.

Benjamin Netanyahu peut penser qu’une guerre régionale sera nécessaire tôt ou tard, et il peut vouloir être l’homme qui la mène. Par ailleurs, les tensions régionales croissantes peuvent lui donner un nouveau moyen de pression. Il pourrait être tenté de dire à Joe Biden qu’il peut maîtriser les tensions avec l’Iran à condition que le président américain le soutienne dans son projet d’offensive contre Rafah, la ville où plus d’un million de réfugiés des villes détruites de Gaza attendent leur sort. En attendant, la guerre se poursuit et les tensions s’accroissent.

Bruno Maçães est correspondant du New Statesman à l’étranger et a été ministre portugais de l’Europe de 2013 à 2015. Il est également l’auteur de « Geopolitics for the End Time : De la pandémie à la crise climatique ».

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